En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

La vie politique française depuis 20 ans

 

   Le livre d'Arnaud Teyssier, Histoire politique de la Ve République (1), dresse un bilan très sévère de la France et des dirigeants français; selon lui, l'Etat ne défend plus les grands intérêts de la Nation, et la démocratie se retrouve en souffrance. Voici par exemple ce qu'il écrit pour caractériser la situation au début des années 2000:

 

   "Au tournant du nouveau millénaire, en France, nul ne comprend plus rien aux institutions: les partis sont au pouvoir, la cohabitation contraint le chef de l'Etat, soit à se taire, soit à descendre dans l'arène, les lois sont rejetées par les minorités agissantes, avant même d'avoir été votées... C'est un sentiment général de résignation qui va montant, les égoïsmes les plus étroits prennent le dessus, la nation s'étiole. Pourquoi les Français réagiraient-ils autrement quand les hommes politiques donnent eux-mêmes le sentiment d'avoir perdu la foi ? Le septennat de Jacques Chirac - le dernier des septennats- s'est achevé au printemps 2002, dans un climat marqué par une dégradation profonde de la vie politique française. La campagne pour l'élection présidentielle, de l'avis général, a été d'une pauvreté affligeante. Tout a paru se liguer: montée en puissance des "affaires", médiocrité persistante du débat politique, incertitude sur l'avenir des institutions nationales au moment où le pays s'engage dans une étape nouvelle de la construction européenne, et alors qu'il subit les conséquences conjuguées de la mondialisation économique et d'une instabilité croissante des rapports internationaux; L'éviction du candidat socialiste au premier tour de l'élection présidentielle, au profit du candidat du front national, a été la sanction spectaculaire de la dégradation des institutions et du discrédit frappant la classe politique tout entière." (2)

 

(1): Editions Pygmalion, 1995, puis Perrin et coll. Tempus, édition augmentée, 2011, 830 pages.

(2): p. 747.

 

    Arnaud Teyssier, historien et haut fonctionnaire, ancien conseiller de Philippe Séguin, auteur d'ouvrages sur Lyautey, Péguy, Louis-Philippe, mais aussi d'une histoire et d'un dictionnaire de la Police, défend une "certaine idée de la France" et de la République; on dira qu'il est plutôt de droite, mais d'une droite "sociale" qui saurait proposer et appliquer une politique d'ordre et de justice. Arnaud Teyssier, comme on vient de le lire, déplore donc la désorganisation des institutions et de l'Etat; le principal responsable de ce phénomène de dissolution et de confusion porte un nom; selon Arnaud Teyssier, c'est François Mitterrand. Adversaire politique et littéraire dans une certaine mesure du général de Gaulle, le chef du parti socialiste, homme de parti et d'intrigues, habile stratège et "filou" du pouvoir, a semblé se mouler avec délice dans les institutions de la Ve république, une fois qu'il en fut placé au sommet ! Mais, insiste Arnaud Teyssier, il a tout fait, et beaucoup fait, pour pervertir ces institutions: par la cohabitation, d'abord, qu'il a acceptée à deux reprises, en 1986 puis en 1993, et ne manquant pas une occasion alors de saper l'action du gouvernement, au moyen de puissants relais dans l'opinion (associations, médias, carnet d'adresses personnel...), et par la décentralisation, ensuite, qui a surtout favorisé l'émergence de pouvoirs régionaux de type "affairistes" et faussement "proches" des besoins réels des populations locales. François Mitterrand, sous des apparences verbales de "souveraineté", servies par une très forte culture historique et littéraire, a laissé se dégrader la situation sociale et donc réelle d'un bon nombre de Français. Il a su manier avec habileté le thème de l'Europe, surtout après la fin de la guerre froide, pour accentuer le rejet du "nationalisme" et du "patriotisme", déjà très présent dans les médias et dans l'opinion publique depuis les années 1970. Il a voulu incarner une sorte de "sagesse" historique, ou de bonne conscience mémorielle, consistant à esquiver ou à balayer les sujets "fâcheux" en quelques regards et formules autoritaires (du style: "jeune homme, vous ne savez pas de quoi vous parlez..."). Ces sujets fâcheux, par exemple l'immigration, par exemple les "valeurs nationales", ont donc été abordés, non sans faconde, par Jean-Marie Le Pen, qui a été, on le sait très clairement aujourd'hui, un instrument politique et électoral manié, sinon par l'Elysée, du moins depuis l'Elysée. Ces sujets fâcheux n'ont pas pu être abordés sereinement, explique Arnaud Teyssier, et les élus comme les lois ont été débordés par les manifestations, les pressions du milieu associatif et médiatique, souvent très complices pour attaquer ou défier l'autorité de l'Etat, et par la peur des incidents et des émeutes, qui tétanise les gouvernements depuis les années 1980.

   Selon Arnaud Teyssier, le manque de courage politique s'explique surtout par la faiblesse des programmes, qui depuis les années 90 ne proposent rien de très clair ni rien de bien solide aux yeux d'un nombre croissant de citoyens. Mais surtout, les programmes sont très vite oubliés et noyés dans le désordre des institutions; l'Elysée, Matignon, le Palais Bourbon, le Sénat, le Conseil Constitutionnel, les Régions, enfin et surtout Bruxelles et l'union européenne, ne parlent jamais le même langage; tout devient flou, sujet à controverses, à procédures interminables, pour aboutir à des lois ou à des textes d'une complication aberrante et qui ne font l'orgueil que de ceux, peu nombreux, qui les comprennent.

 

     L'Etat, surtout, a perdu l'initiative des grandes dépenses, de celles qui organisent et modernisent la Nation; l'appareil productif et commercial est tombé entre des mains internationales et privées, qui jouent avec l'argent (des autres), les emplois et les marchandises au nez et à la barbe des élus et des hauts fonctionnaires, souvent eux-mêmes complices de leurs illusions. L'informatisation et la "virtualisation" des affaires a bien entendu accéléré ce phénomène de "passe-passe" et de "magie" par lequel l'argent va et vient et très souvent s'en va... Les gouvernements, surtout, nous explique Arnaud Teyssier, ont perdu le sens de l'Etat, le sens de l'intérêt général, le goût des priorités, des grands travaux à mettre en oeuvre; on retrouve dans les institutions de la Ve les petites affaires partisanes et électorales de la IVe, que de Gaulle avait voulu éradiquer (mais il n'y est pas parvenu, au contraire, et comme il l'avait d'ailleurs bien prévu...). Les gouvernements ne veulent plus et ne peuvent plus gouverner; ils sont composés de forces politiques qui certes se ressemblent mais se disputent furieusement (en raison de leur proximité d'idées) des postes et des privilèges; ils sont composés de personnalités de plus en plus faibles, voire incompétentes, placées dans les ministères pour des raisons très privées, voire confidentielles, lesquelles personnalités bien entendu n'ont qu'une vague connaissance de leurs dossiers, qui sont étudiés et traités par des collaborateurs et conseillers, eux-mêmes en relation directe et non moins confidentielle avec des hommes d'affaires et des lobbys... Tout cela est maintenant assez bien connu des Français. Arnaud Teyssier s'en prend à la notion de "gouvernance", notion à la mode depuis les années 2000, dans tous les manuels scolaires dorénavant, qui ne veut rien dire d'autre selon lui qu'une certaine impuissance à gouverner réellement. La gouvernance, c'est le vide et le subterfuge, c'est le maquillage et le politiquement correct, c'est le bla-bla bien pensant et attrape-tout, centre-droit, centre-gauche, de ces vingt dernières années; c'est une certaine démagogie, mais une démagogie pour bourgeois, qui n'en sont pas moins une "cible" électorale que les classes populaires, pour lesquelles les journalistes sont toujours très prompts à parler de démagogie et de "populisme".

 

   Que faire pour enrayer le déclin politique français ? Certains intellectuels de gauche, tel Pierre Rosanvallon, préconisent la "démocratie participative"; afin que les décisions du haut soient prises en contact avec les besoins du bas; sinon, la fracture va s'élargir, elle est déjà très profonde, et elle va engloutir tout le monde ! Oui, fort bien, estime Arnaud Teyssier, mais on risque fort de susciter des illusions démocratiques, car les décisions qui proviennent de consultations citoyennes et de débats "participatifs" aboutissent toujours à des textes vagues et creux qui sont broyés à la première occasion par les mécanismes du pouvoir international (accords de libre-échange par exemple, alors que d'après les sondages plus des trois quarts des Français sont contre !). Pour Arnaud Teyssier, il faut revoir et réformer le rôle de l'Etat et des institutions politiques, non pas dans le sens d'une fuite en avant et d'une glissade vers le mondialisme (discours des élites, Attali et consorts), mais dans le sens d'une maîtrise voire d'un freînage de certains phénomènes économiques et sociaux dont les Français sont une grande majorité à se plaindre (sans forcément oser le dire). Il faudrait donc, dit Arnaud Teyssier en conclusion, redonner la parole au peuple par la voie de vrais référendums portant sur des sujets qui les touchent et les intéressent. Et que ces référendums soient ensuite appliqués dans le sens voulu par la majorité ! Ce qui veut dire que le pays soit gouverné par de vrais démocrates, et non par des faussaires, des escrocs et des guignols.           

                        

 



19/05/2020
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres