Lens-Liévin et le triathlon
Victorine m'emmène voir le triathlon en salle de Liévin. Je connaissais jusque-là le triathlon en plein air et sur de longues distances: le format olympique (1,5 km de natation, 40 km de vélo et 10 km de course à pied), le format half-ironman (1,9km, 90 km, 21,1 km) et l'ironman (3,8km, 180km et 42,195 km). Epreuves réservées à des athlètes parfaitement entraînés et en parfaite santé. Dans la belle salle Arena de Liévin, il s'agit d'un format XXS, très rapide: 150 mètres de natation, 3 km de vélo et 1km de course à pied. Les meilleurs accomplissent l'épreuve en 10 minutes !
Le meeting est ouvert (open) à tout le monde: la plupart des engagés sont souvent membres de clubs, on les reconnaît aisément à leurs maillots. Les maillots s'appellent des "tri-fonctions" (rien à voir avec la thèse de G. Dumézil !). On en trouve entre 40 et 400 euros la pièce. Voir illustrations en bas de l'article. Il faut aussi de très bonnes chaussures de course (plaque carbone, 200 euros la paire) et des vélos très légers (entre 1500 et 7500 euros, voire plus pour les professionnels). C'est un sport plutôt onéreux.
Les participants ne s'appellent pas Kévin, Dylan, Jennifer, Samantha, Nabil, Youssouf, mais Adrien, Louis, Barbara, Eglantine, Victoire, à la rigueur Mehdi et Bonny. Les plus jeunes participants ont entre 6 et 9 ans, et les plus âgés autour de 50 ans. La plupart des triathlètes sont "très bien gaulés" comme dirait Victorine. Que du muscle, fort bien mis en valeur par les maillots. Pour quelle raison, sinon le coût, le triathlon attire-t-il de préférence un milieu social aisé ? Par son esthétique et par sa discipline ? Quelque chose d'Antique ? de gréco-latin ? Il me semble, d'après ce que j'ai pu entendre et voir, que le triathlon est d'abord une affaire de famille; une affaire de cohésion domestique, si l'on veut, avec l'avantage d'être mixte.
Quand j'étais petit garçon au fin fond de la campagne vitréenne, on ne connaissait pas le triathlon; normal, ce sport apparaît aux Etats-Unis au milieu des années 1970 et ne devient discipline olympique qu'en 2000 aux JO de Sydney. Le premier ironman a lieu à Hawaï en 1978 et doit son nom à une déclaration de son organisateur: "Qui que ce soit qui finit premier, nous l'appellerons l'homme de fer". (voir wikipedia). Bien sûr, si c'est une femme on parle d'ironwoman ! Mais ne pas confondre avec la "dame de fer" de l'époque, Margaret Thatcher, qui fit fermer les mines de charbon du Pays de Galles. "L'homme de fer", c'est aussi un très bon film d'Andrzej Wajda tourné dans le milieu ouvrier des chantiers navals de Gdansk en Pologne.
Dans la salle de Liévin a donc été aménagé un bassin de 25 mètres; une fois sortis de l'eau, les triathlètes amateurs mettent le plus rapidement possible leurs chaussures de course, enfilent un dossard et font plusieurs tours de piste, entre un et cinq, un pour les tout petits et cinq pour les grands. Les amateurs "open" finalistes, les élite et les professionnels sautent sur leur vélo après leurs six longueurs de bassin (150 mètres) et roulent à près de 50 km/h sur la partie supérieure de la piste, la partie inférieure étant réservée à la course à pied. Le passage d'une discipline à l'autre s'appelle une "transition" (T.1 et T.2 disent les habitués: en T.1 il faut sauter le plus vite possible sur le vélo et glisser ses pieds dans des chaussures déjà fixées aux pédales; en T.2 il faut descendre promptement et proprement du vélo, ne pas tomber, poser son casque dans une caisse attitrée, ne pas se tromper, et enfiler le plus vite possible ses chaussures de course à pied. Les professionnels répètent ces gestes des milliers de fois à l'entraînement. Mais cela n'exclut pas des erreurs, des chutes, des chaussures qui se défont du vélo, etc. C'est tout à fait passionnant à observer.
L'ambiance prend des allures de show à l'américaine en fin de journée avec des éclairages en faisceaux, une musique tonique et très forte, des speakers survoltés, un public de plus en plus nombreux venu assister aux finales. La course élite est remportée par le grand champion français Vincent Luis devant un Espagnol et un Hongrois. En fin de carrière, il a 32 ans, et en pleine préparation hivernale, Vincent Luis a tenu à participer à ce meeting de Liévin, car il en connaît l'organisateur dont il apprécie le travail en faveur du triathlon. Par ailleurs Vincent Luis veut lutter contre l'obésité et la culture des écrans chez les jeunes. Le meeting de Liévin, très médiatique (il est en partie retransmis par la chaîne L'Equipe TV), offre une bonne publicité au triathlon, qui reste quand même un sport très sélectif pour les différentes raisons que nous avons évoquées.
Liévin se trouve juste à côté de Lens, en plein coeur de l'ancien bassin minier du Pas de Calais, tout proche aussi de Courrières où se produisit la grande catastrophe de 1906 qui tua plus de 1000 mineurs. Les mines ont fermé au cours des années 1980 et les sites charbonniers avec leurs terrils sont devenus des espaces de promenade protégés. Lens est aujourd'hui réputé pour deux attractions: son club de foot et son public qui chante les Corons de Pierre Bachelet dans le stade Bollaert, et tout proche de ce stade le musée du Louvre-Lens où sont exposés dans d'immenses salles de très beaux objets de la plus haute Antiquité (Mésopotamie, Inde, monde hellénistique). Les villes de Lens et de Liévin ne sont pas vilaines du tout avec leurs maisons basses, autrefois résidences ouvrières, et leurs rues relativement bien achalandées; des travaux de réhabilitation et de rénovation ont été faits et sont encore à faire.
J'observe que la campagne agricole est toute proche et que le bassin minier à l'origine se trouvait dans les champs; les mineurs ont d'abord été des paysans; du sol ils sont descendus au sous-sol ! Métier effrayant qui a réduit de dix à vingt ans l'espérance de vie masculine ! Malgré quelques cités ouvrières construites pour attirer la main d'oeuvre, celle-ci devenait de plus en plus rare, et les compagnies recrutèrent des immigrés. Le coût de cette main d'oeuvre était sans doute faible, il était encore trop élevé pour que la production de charbon fût rentable après les années 1950 et 60 face à la concurrence du pétrole puis du nucléaire. Tout en haut du terril, survolant Lens et Liévin, observant l'horizon, les champs, et apercevant un cimetière de la Grande Guerre, je me sens un peu ému. Que de souffrances historiques sous les yeux.
Il se peut que l'image sportive et athlétique soit une forme de consolation visuelle.
La salle Arena de Liévin
L'épreuve cycliste du triathlon de Liévin
Vincent Luis mène la course et va l'emporter.
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