En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Les JO de Rome, 1960

 

 

    Les JO de Tokyo viennent de se terminer; malgré l'absence de public dans les stades, la plupart des observateurs professionnels (journalistes, éditorialistes, etc.) semblent relativement satisfaits; d'abord, disent-ils, les Jeux ont bien eu lieu, toutes les compétitions, tous les matchs se sont déroulés sans difficultés, les athlètes étant contrôlés tous les jours (à noter tout de même que le perchiste américain Kendrickx a été testé positif et a donc dû déclarer forfait pour le concours); ensuite l'organisation japonaise a été impeccable, même sans le soutien de l'opinion publique nationale (puisque une majorité de Japonais souhaitait le report ou l'annulation des Jeux); enfin la retransmission médiatique a permis de maintenir la flamme de l'enthousiasme, de la ferveur, et finalement de distraire bon nombre de gens dans le contexte inquiétant de l'épidémie, du réchauffement climatique ou bien du "mauvais temps" (cela dépend des pays...).

    Puisque les médias jouent donc un rôle essentiel, dans beaucoup de domaines et en particulier dans celui des sports, je me suis demandé à partir de quand ils ont commencé à jouer un tel rôle; et je suis tombé après une recherche assez rapide sur les Jeux Olympiques de Rome en 1960*. On pouvait s'en douter, c'est la période des "trente glorieuses" où beaucoup de pays développent leurs équipements et infrastructures de "communication": téléphone, radio, télé... Les Américains et les Soviétiques, dans le contexte de la guerre froide, se livrent à une sorte de compétition sur ce terrain et tentent même d'en explorer de nouveaux (course à l'espace, lancements des premiers satellites...). Les dirigeants sont de plus en plus attentifs aux questions d'opinion publique et "d'image internationale"; et le trafic aérien prend son envol, permettant à de plus en plus de gens, notamment des professionnels, de se déplacer rapidement d'un pays à l'autre. Tel est donc le contexte très favorable des JO de Rome qui s'ouvrent le 25 août 1960. 

    La page wikipedia nous apprend que 83 pays y participent, plus de 5000 athlètes (4700 hommes pour 600 femmes environ); à comparer avec aujourd'hui: 204 pays, 11000 athlètes (49% de femmes). L'Afrique est encore faiblement représentée en 1960 avec seulement 12 pays (29 pour l'Europe), alors qu'elle est aujourd'hui le continent le plus représenté avec 54 pays (49 pour l'Europe). Sur le plan géopolitique, même si la guerre froide se réchauffe un peu, la Chine communiste refuse de participer en raison de l'invitation de Taiwan (Formose) par le Comité Olympique (il  en avait été de même quatre ans plus tôt après une affaire de drapeau hissé). Le même Comité oblige les deux Allemagne (RDA et RFA) à ne former qu'une seule délégation (Equipe Allemande Unifiée). Enfin l'Afrique du Sud se présente aux Jeux sous le visage de l'apartheid puisque les athlètes noirs du pays n'ont pas été sélectionnés; mais là le CIO ne dit rien. Cependant, l'Afrique du Sud sera exclue des Jeux par la suite et n'y reviendra qu'en 1992, après l'abolition de l'apartheid. 

    L'organisation des Jeux de Rome est présidée par le ministre italien de la Défense en personne; attention, surveillance policière et militaire renforcée. Et surtout, montrer au monde un pays sérieux et discipliné, moderne et démocratique (15 ans après la fin du fascisme); hélas, ça commence mal, le président de la République italienne arrive en retard lors de la cérémonie d'ouverture (bloqué dans les embouteillages !). En revanche les cloches du Vatican sont au rendez-vous et retentissent entre les coups de canon et l'envol des colombes... L'emblème officiel des Jeux représente la louve allaitant Romulus et Rémus, et certaines compétitions se déroulent dans des sites antiques, par exemple la gymnastique aux thermes de Caracalla. Mais le grand stade olympique, lui, est tout neuf, construit spécialement pour les Jeux, ainsi que le nouvel aéroport de Fiumicino. Une immense rocade est en chantier pour désengorger le centre et développer de nouvelles zones résidentielles (elle ne sera achevée qu'en 1970). Bref, pour un pays encore très "sous-développé", disons rustique et frugal (comme en témoignent certains films italiens des années 60), l'organisation des Jeux fut le début d'un genre de bouleversement économique et social; l'historienne Catherine Brice le confirme en écrivant que des années 59 à 62 l'Italie connut un essor miraculeux, et elle cite quelques chiffres: 12% des familles possédaient un téléviseur en 1958, 49% en 1965; 13% un réfrigérateur et 55% sept ans plus tard, etc. Enfin, sur le plan politique, l'année 1960 fut très mouvementée: manifestations (de gauche) contre la possibilité d'une alliance entre la Démocratie-Chrétienne (centriste) et les "néo-fascistes" (extrême-droite); du coup les gouvernements s'orientèrent légèrement vers la gauche mais en se heurtant à de nombreux blocages de tous ordres, et dès 1962 le "miracle" économique et social s'évanouit pour laisser place à de vastes mouvements de contestation (étudiants par exemple). 

    Au tableau des médailles de 1960 l'Italie se place troisième (13 médailles d'or) derrière, très loin derrière l'URSS (43 médailles d'or) et les Etats-Unis (34 médailles d'or); les Italiens brillent en cyclisme (5 titres), en boxe (3 titres), en escrime (2 titres), mais aussi en athlétisme, en water-polo et en équitation; un bilan très positif, voire très flatteur. Certains adversaires insinueront que les chronométreurs étant tous italiens, cela peut expliquer bien des choses ... Au tableau des perdants, la France, 25e, pas une seule médaille d'or. A tel point que le général De Gaulle se fâche un peu et décide de lancer un vaste plan d'équipements sportifs pour remédier à cette faillite olympique; mais il faudra attendre une bonne vingtaine d'années pour en obtenir les premiers résultats. L'Italie quant à elle se maintient dans les dix premières nations olympiques mondiales depuis le nouveau siècle, mais son point fort habituel, l'escrime, a été mis à mal à Tokyo (aucun titre); en revanche l'athlétisme avec cinq titres a été la grande satisfaction transalpine. 

 

*: Il existe un livre en anglais, Rome 1960, The Olympics that changed the world, écrit par un certain David Maraniss et publié en 2008, qui peut m'inciter aussi à penser que cette olympiade romaine a sans doute marqué un tournant dans l'histoire moderne des Jeux. Mais je n'ai pas lu le livre et même si l'on peut écouter en anglais une conférence prononcée par l'auteur, je n'ai pas pris la peine de persévérer dans cette voie. Une autre voie m'attend à partir de demain, celle de la Bourgogne en compagnie de Victorine. Je ne serai donc pas de retour sur ce blog avant une bonne quinzaine...  

           

 



10/08/2021
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