En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Où va l'Ouganda ?

 

   On parle peu de l'Ouganda; à l'école, ici en France, pas un mot; dans les médias, quelques articles de temps en temps; pour déplorer la violence et la corruption du régime politique, les discriminations de toutes sortes dans un pays de caractère ethnico-tribal très prononcé (sur wikipedia, une soixantaine d'ethnies répertoriées); bientôt vont avoir lieu des élections présidentielles: le président au pouvoir depuis 1986, Yoweri Museveni, est défié par un candidat novice, le rappeur Bobi Wine. Le magazine Jeune Afrique parle déja des violences commises et d'une élection qui sera sans doute, comme les précédentes, entachée pour le moins d'irrégularités... 

 

    L'Ouganda est un pays enclavé, au coeur de l'Afrique équatoriale, dans la région des Grands Lacs; la végétation est luxuriante, expression habituelle, et les ressources agricoles abondantes; mais là comme ailleurs, et sans doute plus qu'ailleurs, les cultures commerciales d'exportation (plantations de café), l'emportent sur les cultures vivrières; autrement dit, la méchante exploitation capitaliste du territoire, dominée par des investissements étrangers voire extravertis, étouffe et assèche les possibilités d'une bonne agriculture "autonome" et "éco-responsable". Bien sûr, on trouvera toujours un ou deux exemples d'ONG occidentales qui s'efforcent d'aider quelques paysans ougandais à développer leurs propres productions vivrières, et si possible sous une forme "socialisante" (coopérative). On imagine très bien ici un reportage de la chaîne Arte pour nous expliquer les difficultés d'émancipation et d'organisation d'une population ougandaise encore largement prisonnière d'un Etat néo-colonialiste renforcé par les appétits des investisseurs chinois; on le sait, tous les médias en parlent, la Chine est une puissance totalitaire en pleine expansion internationale qui achète à tout va des terres et des minerais, notamment en Afrique; la plupart des dirigeants africains, nous dit-on également, accueillent fort bien leurs homologues chinois dont ils partagent les "valeurs" politiques et sociales: un minimum de libertés individuelles, un maximum d'inégalités basées sur une conception autoritaire voire "exclusive" du pouvoir et des profits. Evidemment, le "dialogue" démocratique avec l'Occident devient difficile, ou alors très hypocrite. 

    L'Ouganda, ancienne colonie anglaise, a obtenu son indépendance en 1962, mais la langue de Shakespeare est encore largement parlée dans la "bonne société" du pays; wikipedia nous apprend que le taux d'analphabétisme est très élevé chez les femmes et que l'enseignement secondaire se limite à quelques villes et à une minorité urbaine (bourgeoise) de la jeunesse. Les valeurs religieuses restent fortes (christianisme majoritaire avec une poussée récente des évangélistes protestants) et maintiennent sans doute une vision ou une conception très communautaire ou "communautariste" de la société, qui se combine à des "sentiments" ethniques encore très ancrés. Le discours protestant, plus que le discours catholique ou que le discours musulman, appelle à une certaine émancipation "personnelle", ou "inter-personnelle", qui peut perturber les traditions collectives ancestrales, familiales, ethniques. En Ouganda, comme ailleurs en Afrique centrale, les relations sociales peuvent être conflictuelles voire explosives; et là aussi, la jeunesse du pays se présente souvent comme une force d'opposition et de contestation face aux vieux dirigeants qui confisquent le pouvoir et les profits depuis des dizaines d'années (cela dit, ils étaient jeunes quand ils s'en sont emparés !). C'est, je crois, le discours dominant du magazine Jeune Afrique, qui consiste à accuser les gérontocrates et leurs comparses étrangers de spolier et de tyranniser les populations. Néo-colonialisme mondialisé à fort coefficient d'évasion fiscale ! Pour autant Jeune Afrique n'appelle pas à la révolution (du moins pas rouge, orange à la rigueur), il espère que l'émancipation citoyenne et sociale permettra peu à peu la démocratisation tout en respectant les "particularismes" (en une sorte de fédéralisme ethno-écologique !) et tout en évitant les méthodes occidentales du "centralisme" technocratique. 

   Comment ne pas évoquer à cet égard le terrible Amin Dada qui dirigea l'Ouganda de 1971 à 1979 ? Il prit le pouvoir par un coup d'Etat (militaire bien sûr) qui rassura les "chancelleries" occidentales, soucieuses de repousser alors toute velléité de révolution socialiste de type "castriste" ou pire encore de type "khmer rouge". Amin Dada imposa et "centralisa" rapidement son pouvoir et ses intérêts; il fit la chasse à ses opposants, réels ou supposés, s'appuyant sur des milices ou des "escadrons" de la mort qui avaient "carte blanche" pour commettre toutes sortes d'horreurs. Le régime fut malgré tout soutenu mais de moins en moins favorablement par les pays occidentaux (la France est alors dirigée par Giscard d'Estaing, amateur de safaris dans la région des Grands Lacs !); la presse française (dont Ouest-France que je commence à lire dans ces années-là) relate les folies sans doute meurtrières ou sanguinaires du dictateur Amin Dada. Après avoir perdu le soutien d'Israël, celui-ci se tourne vers la cause palestinienne; cela lui vaut en juillet 1976 l'affaire d'Entebbe, ancienne capitale du pays, à 35 km de Kampala, et dotée d'un aéroport international, où une opération commando de l'Etat hébreu est rondement menée pour libérer les otages de l'avion Tel-Aviv-Paris détourné par des pirates palestiniens. Puis la chute des prix du café en 1978 aggrave les dysfonctionnements du régime et de la politique d'Amin Dada, qui sera finalement renversé l'année suivante. Le film Le dernier roi d'Ecosse, sorti en 2006, et plusieurs fois montré à la télé, relate certains aspects ou certains épisodes, souvent effarants voire effrayants, de la dictature exercée par le chef ougandais, qui s'était pris de passion pour l'Ecosse; Amin Dada finira sa vie en Arabie saoudite en 2003.

   Quant à l'Ouganda, il continue la sienne, mais on peut quand même se demander où il va, car les perspectives de son développement ne sont pas claires du tout. Remarquez, il n'est pas le seul pays dans ce cas.                       

            

     

 



09/12/2020
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