En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

De retour

 

   Les médias grand-public ont beaucoup insisté sur le petit épisode caniculaire de la fin juillet, avec des températures supérieures à 40°, y compris à Caen; mais de gros orages y ont mis fin, par exemple dans les Alpes, perturbant au passage le Tour de France; depuis une quinzaine de jours règnent l'incertitude et les variations climatiques: nous en avons fait l'expérience au cours de notre périple à vélo entre la Normandie et l'Aquitaine. De Caen à Angers nous avons roulé sous un ciel souvent ensoleillé mais sans qu'il fasse très chaud; le parcours de la Vélo-Francette longe il est vrai les cours d'eau (la Mayenne notamment) où le "fond de l'air" est souvent frais, et le soleil atténué voire masqué par une épaisse couverture végétale. Sans oublier le vent, qui souffle régulièrement dans ces couloirs d'eau et de verdure. Entre Angers et Saumur la pluie est tombée, fortement même, nous obligeant à nous arrêter et à loger dans un gîte tenu par des Anglais (qui s'y connaissent en intempéries). Le soleil et même la chaleur sont revenus à travers le département des Deux-Sèvres, y compris en suivant la petite vallée du Thouet, ses routes étroites et un peu escarpées... Toutefois la fraîcheur et l'humidité gagnaient en soirée, favorisant les moustiques, par exemple au bord du lac de Cébron.

 

    Les variations climatiques compliquent un peu l'effort pourtant régulier du cycliste randonneur et campeur; évidemment elles ont un effet sur le moral et l'humeur; elles altèrent un peu l'énergie et l'optimisme, elles entraînent calculs et tergiversations. Victorine s'avère plus sensible que moi à ces variations, la baisse des températures contrarie sa chaleur interne; mon côté ombrageux en revanche s'accommode plutôt bien du ciel nuageux. En remontant vers le nord, après La Rochelle (qui nous a fort déçus), nous affrontons un fort vent atlantique qui souffle sur les marais; après une halte à La Tranche sur mer, où la pluie de nouveau précipite notre départ matinal, nous décidons de quitter la voie littorale; en coupant la Vendée par l'intérieur des terres, peut-être aurons-nous moins de vent, moins d'averses, et plus de places disponibles dans les campings... 

 

    Ici il faut souligner la qualité d'accueil réservée le plus souvent aux cyclistes, notamment dans les campings de type familial, comme à Vendrennes, au coeur de la Vendée; ce département, encore agricole, fait preuve d'un dynamisme touristique des plus efficaces en misant sur une vaste clientèle de classe moyenne aux goûts simples et solides; ici, pas de comportements bruyants, aberrants, délinquants; au camping de Vendrennes, des jeunes gens sous une tente voisine de la nôtre discutent de leurs études, de leurs copies de bac, de leurs professeurs, et sans aucune animosité. En traversant la Vendée, Victorine se dit impressionnée par la qualité des aménagements agraires, très supérieure d'après elle à ce qu'on a pu voir l'été dernier en longeant la vallée du Tarn; il est vrai que le climat océanique tempéré et variable du Grand Ouest de la France, ainsi que la douceur des reliefs, permettent de maintenir encore une agriculture diversifiée et "flexible" qui s'adapte aux variations du marché mondial concurrentiel.

 

   Mais les efforts demandés aux habitants les empêchent sans doute de goûter vraiment la qualité de leur environnement; nous nous arrêtons chez un couple d'amis à Oudon sur les bords de la Loire; elle travaille à l'hôpital d'Ancenis, parfois plus de dix heures de suite lorsqu'elle est d'astreinte, et lui se lève à cinq heures du matin pour ne rentrer à la maison qu'après huit heures le soir; tous ces efforts, toute cette fatigue ne permettent pas de parler de cette "douceur de vivre" que croient entrevoir les visiteurs de passage. Ajoutons au stress du travail les innombrables soucis domestiques, l'éducation des enfants de plus en plus ingrate, et le spectacle accablant du monde et de la société que délivrent les médias, il faut beaucoup d'énergie morale et psychologique pour accueillir avec le sourire et un genre d'enthousiasme deux cyclo-randonneurs de passage.

 

    Nous remontons vers la Normandie en passant par mon pays natal du côté de Vitré; là aussi, des amis accueillants, souriants, un environnement de qualité, des habitats soignés, mais beaucoup de travail et d'abnégation; une sorte de pudeur, même, à ne pas montrer les efforts quasiment sacrificiels qu'on accomplit. Tel est, je crois, l'état d'esprit général implicite d'une bonne partie des Français, dont les médias ne parlent jamais, tout occupés à exhiber les revendications des impudiques et des sans-gêne, des prétentieux et des parasites, des vaniteux et des menteurs.

 

    Le ciel de nouveau se gâte en traversant la Mayenne; nous faisons une halte à Gorron, à l'hôtel du bocage, rue des corbeaux: endroit étrange, qui fait penser à un film d'Hitchcock, sans doute en raison des oiseaux en cage qui se trouvent dans la salle de restauration; la chambre est meublée comme dans les années 1970, à l'exception de la télévision; tout est usé, taché, troué, et l'hygiène incertaine. Pas de douche, mais une grosse baignoire un peu inquiétante. Un lit immense où l'on s'enfonce. A table, on ne sert que des pizzas, des hamburgers et des kebabs, le patron nous explique que c'est plus simple ainsi; sa femme et sa fille, en sixième année de médecine, font la "cuisine" et le service; et quel service ! On nous apporte de grands tubes de sauce industrielle sur la table, et le lendemain matin, sans même avoir rien demandé, une baguette, une plaquette de beurre et un pot familial de confiture; allez les cyclistes, faut manger, on sait ce que c'est ! Le restaurant se trouve en effet sur le trajet de la Paris-Brest-Paris: une randonnée sportive de 1218 km que les meilleurs cyclistes accomplissent en moins de 50 heures.

 

   Après Domfront, le ciel s'éclaircit mais le vent redouble; une fois franchi le petit passage pentu de la Suisse normande, la route cyclable de Caen s'ouvre devant nous: elle longe l'Orne et offre de très belles vues sur les champs vallonnés qui inspirent le calme et presque la volupté (sans doute en raison des courbes verdoyantes caressées par le soleil du soir); la ville toutefois s'annonce par le nombre croissant des cyclistes et des marcheurs: beaucoup de gens en famille, quelques sportifs, quelques randonneurs. Victorine se félicite de la qualité de la piste, qui explique justement sa fréquentation populaire; enfin une belle réalisation démocratique !

    Ah, la démocratie, vaste sujet; je n'ai presque rien lu du livre de Tocqueville que j'avais emporté; ce périple un peu "buissonnier", mais pas trop, m'a gentiment écarté des voies habituelles, académiques ou polémiques, qu'on trouve tracées sur la France et le reste du monde dès qu'on feuillette le journal ou qu'on allume l'ordinateur. Retour donc à l'ordinateur.            

                            

 



19/08/2019
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