En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Patrimoine

 

 

     Je suis retourné samedi dernier dans mon pays d'enfance, d'enfance et même plus, car j'y suis resté jusqu'à ma 23e année, avant d'être propulsé, comme tout jeune fonctionnaire, vers une région lointaine. Voilà 37 ans aussi que la France organise en septembre les "journées du patrimoine", une opération lancée par le ministre socialiste Jack Lang, dans un souci d'ouverture populaire des monuments et des musées. Jusque-là, sans doute, le patrimoine évoquait la richesse privée de la bourgeoisie et de la noblesse (châteaux); à partir de 1984, il désignera une mémoire collective plus ou moins partagée, ainsi et surtout qu'un élargissement du domaine touristique français à des sites isolés, enfouis, injustement oubliés des guides officiels; les années Mitterrand (de 81 à 95) sont marquées par un certain effort public de "mémorisation" de la France (nouveaux musées et mémoriaux, nouvelles règles d'archivage et de consultation des archives, publication d'ouvrages "monumentaux" tel le fameux "Lieux de mémoire" sous la direction de l'historien Pierre Nora, etc.). Les contempteurs de Jack Lang et du socialisme mitterrandien en dénoncent le coût, le trompe-l'oeil, le conformisme social et culturel: ce sont les classes moyennes (de la fonction publique, avec beauccoup de profs) qui constituent le gros du public de ces journées du patrimoine, un public bien tranquille qui admire un peu béatement (j'en fais partie). Mais pendant ce temps-là, ajoutent les mêmes "rabat-joie", le gouvernement socialiste fait prélèver toujours plus d'impôts sur le vrai patrimoine des Français, celui qu'on ne visite pas, et qui souvent tombe en ruine. 

 

    Ce qui m'amène ou me ramène à mon pays d'enfance: un pays de châteaux, comme un peu partout en France; la plupart sont privés, et on ne visite pas grand chose; on peut déjà s'estimer heureux de marcher dans le parc. Sur les 40 à 50 000 châteaux que compte la France (sans les manoirs ni les hôtels particuliers de villes), beaucoup sont en mauvais état; leurs propriétaires historiques sont morts depuis longtemps, et plus personne ne veut habiter au fin fond de la campagne, près d'un cours d'eau, d'un étang ou d'une forêt. Il faut trouver des "passionnés" ou des investisseurs très investis pour reprendre et restaurer de telles demeures. L'immense majorité des Français préfère acheter du petit, du neuf ou faire construire. Le visiteur du château, une fois sorti de sa visite pleine d'admiration béate, retrouve très vite sa petite raison critique: eh bien c'est pas moi qui vivrai là-dedans, la facture d'électricité j'te dis pas  ! Tu fais venir un plombier ? T'en as pour 10 000 euros ! Et l'humidité, et les infiltrations là-dedans ! Des nuits sans sommeil à entendre le craquement des boiseries à l'intérieur et des branches à l'extérieur ! Sans compter les animaux sauvages qui viennent rôder autour, et de possibles voleurs attirés par la discrétion des lieux et le grand nombre des fenêtres... Non merci. Bien content de rentrer dans mon petit-chez-moi sécurisé. Tout cela pour dire que les journées du patrimoine confortent bel et bien les Français dans leur for intérieur; l'admiration sans envie a un effet réconfortant; et le goût de l'histoire-château est souvent (pas toujours) une passion de petits propriétaires bourgeois. De même qu'on peut être athée, anticlérical, et fort intéressé par l'architecture religieuse. 

 

    Mon pays d'enfance fut autrefois très catholique; il ne l'est plus guère; autour des églises, c'est désormais le vide et le silence; un petit bar résiste parfois, avec ses quatre ou cinq clients habituels; des voitures passent mais ne s'arrêtent pas; un cycliste fait entendre le cliquetis de son changement de vitesse. Certains élus veulent changer les choses: redynamiser le bourg, attirer une clientèle active ! Oui, mais comment ? Dans mon pays d'enfance madame le maire souhaite l'installation d'une "grande surface" (sans doute une moyenne, mais pour les autochtones c'est déjà trop grand !) à la place du terrain de foot qui prend l'eau. Protestations, indignation, et mise en place d'un comité d'opposition au projet: Carton Rouge (c'est son nom). Les villageois veulent garder leur tranquillité et leurs petits commerces. Des grandes surfaces, il y en a déjà plein dans la région, à dix ou quinze minutes de voiture. Oui, mais justement, répond madame le maire, il n'y aura plus à prendre sa voiture ! Les habitants des lotissements viendront en caddies faire leurs courses, ils se causeront, ils créeront du "lien social" !

   Pas sûr du tout, si je m'en tiens à mon expérience: cela fait quinze ans que je vais avec mon caddie à l'intermarché de mon quartier et je n'ai jamais fait la causette avec personne dans les rayons. Certes je ne suis pas un bon exemple, mais quand même, je suis assez représentatif du Français moyen: type routinier, taciturne, méfiant, malgré un esprit potentiellement très disponible. Non, le plus rédhibitoire dans tout cela, c'est le caddie personnel (en toile ou en plastique), qui malgré ses améliorations techniques et esthétiques reste un objet répulsif pour une très grande majorité de personnes; il est associé aux gens âgés, sorte de déambulateur arrière qui préfigure celui de l'avant, et il ne permet pas d'entasser toutes les provisions nécessaires pour une semaine et une famille de quatre; bref, c'est un truc de mémère ou de célibataire. 

    Pour finir ma tournée patrimoniale, je suis passé vite fait près de la maison familiale tout récemment vendue. Une belle maison ? Les avis sont partagés; pour moi, oui, mais je n'y connais pas grand chose en "structures", en "fondations", en matériaux; pour d'autres, non, maison humide avec de mauvaises surprises à prévoir dès qu'on touche à ses structures. Tout à rénover, chauffage, électricité, tuyauterie... "Gros potentiel" ? Formule un peu toute faite. Gros travaux assurément ! Bon, le parc est superbe, les arbres magnifiques, terrain idéal pour une famille en pleine croissance... Mais en face, malgré la haie, une usine qui sent mauvais et fait un peu de bruit... On l'a compris: le patrimoine ce n'est jamais tout beau comme on pourrait le croire en regardant le Tour de France cycliste à la télé.                                                    

 



22/09/2021
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