Petit ménage et big business
Une fois tous les six mois je fais le petit ménage de mon appartement; voilà 14 ans que j'y suis installé, c'est confortable pour un célibataire mais trop juste pour un couple; comme dit Victorine c'est une "garçonnière"; c'est là en tout cas que se trouvent mes livres et ils sont nombreux, sans doute deux bons milliers. Il faudrait faire du ménage dans ce domaine; je ne lis plus et je ne lirai plus 80% de ces livres; la littérature de géographie et de géopolitique est par exemple très vite périmée; sauf deux ou trois "classiques" qui deviennent par conséquent des livres d'histoire politique ou qui valent encore le coup par le "charme" de leur style. Je pense aux ouvrages de Bainville, de Vidal de La Blache, de Duroselle, ou même au très controversé "Choc des civilisations" de Huntington, qui fait déjà figure de "classique".
Hubert Védrine, l'ancien ministre des affaires étrangères de Mitterrand, a écrit et écrit encore de fort bonnes choses, mais il peine un peu à se faire entendre, et notre système médiatique ne lui en laisse guère l'occasion; je suis tombé sur lui l'autre jour en écoutant RTL, il était l'invité "exceptionnel" d'une émission du midi, où il venait parler de son dernier livre, Dictionnaire amoureux de la géopolitique; drôle de titre, mais c'est la collection qui l'impose, et Védrine s'est plié à l'exercice; l'animatrice de l'émission nous a un peu aguichés (moi en tout cas j'ai été aguiché !) en disant que son invité prenait souvent à rebrousse-poil les opinions convenues qu'on pouvait avoir sur le monde d'aujourd'hui, sur le rôle de Poutine par exemple, sur celui de la Chine également. J'étais très impatient d'entendre cela ! Impatience déçue: l'émission a été morcelée par les coupures publicitaires, Védrine a dû se plier à des exercices imposés, se présenter en deux minutes, présenter ensuite la météo, et enfin, clou de l'émission, écouter un auditeur-surprise au téléphone: c'était Jean-Christophe Ruffin, lui-même ancien diplomate, et apparemment un bon copain de Védrine, les deux ont alors évoqué leurs loisirs et leurs villégiatures, se désolant de la fermeture d'un petit restaurant des Alpes où ils avaient l'habitude de se rencontrer. Et Poutine alors ? et la Chine dans tout celà ? Pas un mot. L'émission s'est passée sur le mode "brosse à reluire" avec le sourire et la bonne humeur de l'animatrice pour nous faire oublier le côté rebrousse-poil d'un Hubert Védrine qui n'en a d'ailleurs plus guère sur le crâne. Tout cela pour dire que l'ancien ministre et diplomate vaut surtout d'être écouté par ses qualités didactiques, et une certaine lucidité, parfois malicieuse, qui lui fait tenir de temps en temps quelques propos "politiquement peu corrects", comme: "L'Europe est depuis trop longtemps l'idiot du village global", ou encore "Les Européens sont des bisounours" dans les nouveaux rapports de force géopolitiques du XXIe siècle.
Ouest-France se félicite de la nouvelle (géo)politique des Etats-Unis (Biden) qui vise à relancer le "multilatéralisme", c'est à dire l'action collective et concertée d'un certain nombre d'Etats, si possible au sein de l'ONU, et portant sur des sujets bien précis, par exemple celui des paradis fiscaux; un sujet que M. Biden connait bien, puisqu'il a été pendant plus de trente ans sénateur du Delaware, un paradis fiscal de la côte atlantique des Etats-Unis. Ce sujet est assurément pointu et le quidam n'en a bien souvent qu'une opinion émoussée. Une chose est sûre, cela fait plus de trente ans au moins qu'il est question de lutter contre les paradis fiscaux, et plus de trente ans par conséquent que la lutte n'a rien donné... Mais enfin, il ne coûte rien d'espérer. Une autre chose par ailleurs est difficile à contester: le milieu politique américain, qu'il s'agisse des Démocrates ou des Républicains, est depuis toujours entre les mains du monde des affaires et en particulier dans les griffes des lobbies. Même si Biden est déjà comparé à Roosevelt (l'homme du New deal), on attendra quand même un peu avant de se prononcer sur l'efficacité réelle de sa politique annoncée et généreusement commentée par Ouest-France et d'autres quotidiens français. Certains contempteurs de Biden (il y en a, notamment aux Etats-Unis !) annoncent qu'en voulant lutter contre les paradis fiscaux il va surtout jeter en enfer, du moins au purgatoire, tous ceux qui ne se soumettront pas aux nouvelles règles juridico-bancaires qui seront dictées par Washington et par New York. Bien souvent, le "multilatéralisme" affiché par les Etats-Unis s'est soldé par un renforcement de leur hégémonie économique et financière sur leurs alliés (c'est ce que dit Hubert Védrine par exemple). Et "l'interventionnisme" étatique, de Washington ou d'ailleurs, ne nuit pas du tout, bien au contraire, au "big business" !
Un autre point, lié à ce qui précède, a retenu récemment mon attention sur internet: une large majorité des salariés d'une usine (entrepôt) d'Amazon en Alabama a refusé la création d'un syndicat en estimant que celui-ci pourrait nuire à ses intérêts, parce que les salariés en question qui pour beaucoup sont d'origine immigrée et font partie des "minorités" sont prêts à tout, à travailler toujours plus, pour obtenir demain une situation bien meilleure que celle dont ils viennent... Il s'agit, nous dit le chroniqueur royaliste J-P Chauvin, d'une "classe sacrificielle", et il ajoute: " Quand les classes moyennes appréhendent le déclin, les classes sacrificielles (peu formées et donc très malléables et corvéables) espèrent au contraire atteindre ce que les précédentes ont peur de perdre." (1). Donc, si l'on a bien compris, le capitalisme libéral dérégulé (et désyndicalisé) ne peut qu'être favorable à l'existence de cette situation, sauf si les consommateurs, comme moi, n'achètent rien ou pas grand chose sur les "plateformes", et se contentent de faire leur petit ménage.
(1): sur son blog, voir ci-dessous
article de J-P Chauvin sur Amazon, le syndicalisme et les "classes sacrificielles"...
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