En attendant le Déluge

    Comme tout bon professeur qui se respecte j'ai terminé l'année bien fatigué; ras-le-bol professionnel fort compréhensible, accentué par le mouvement de grèves; dans mon lycée quelques collègues sont également très éprouvés, l'un d'eux pour sa dernière année s'est retrouvé l'autre jour aux urgences: surmenage. Une autre s'est effrondrée en larmes. Moi non, mais je traîne les pieds et ressens une petite boule au ventre en considérant la difficulté d'enseigner dans certaines classes. Je sais bien, comme l'a dit un philosophe stoïcien, que la difficulté ne vient pas tant de la chose elle-même que de l'idée qu'on s'en fait, et qu'une fois le cours commencé, l'appréhension s'évanouit et la volonté (de puissance ?) l'emporte sur la crainte; aussi m'arrive t-il de prendre des airs de dictateur d'opérette ("silence !", "il n'y a rien à dire ! " faites le travail !", etc.) qui vont à contre-courant de la bonne démocratie pédagogique où les élèves doivent être au centre de l'apprentissage. Ce qui en vérité me fatigue le plus c'est le contenu prétentieux et "lourd" des programmes; car j'ai toujours été un amateur de légèreté et de gentillesse intellectuelles; un peu d'humour, beaucoup de sagesse, d'indulgence et de modération, c'est ainsi que j'aime enseigner; et j'estime que les élèves sont trop jeunes et trop peu expérimentés pour qu'on les bassine avec des affaires politiques et géopolitiques censées les préparer... Les préparer à quoi ? A voter Macron ? A défiler contre la "haine" ?

    Du repos donc avant tout pour ces vacances de Noël ! Je conseille entre 7 et 9 heures de sommeil; sans oublier des petites siestes digestives. Je conseille aussi de prendre l'air et de pratiquer des activités physiques; le mauvais temps, des maux de ventre et une fatigue générale m'ont empêché de faire du vélo ces derniers jours; je compte bien m'y remettre dès demain. Mais le repos du professeur, c'est aussi la lecture; et de la bonne lecture: de vrais livres qui enveloppent et pénètrent l'esprit; et non de ces petits articles nerveux et polémiques qui excitent mais n'asssouvissent pas. Je vais terminer l'excellente Histoire de la France d'André Maurois; ensuite, un roman: Les Destinées sentimentales de Jacques Chardonne. Et peut-être quelques extraits du Voyage en Italie de Hippolyte Taine. Bref, de la littérature française d'autrefois.

    Les vacances de Noël se passent aussi en traditions; j'ai voulu emmener Victorine à la messe de Minuit; elle avait bien aimé celle de l'an dernier donnée à l'abbatiale de Caen; nous sommes allés cette fois, pour changer, à la cathédrale de Bayeux; l'idée était d'abord de manger dans un petit restau; très vite on voit qu'ils sont tous fermés; changement de plan: on fait quelques courses au Carrefour City dix minutes avant sa fermeture; on mangera à la maison;  mais en attendant, on va à la messe de 19 heures 30 au lieu de celle de 22 heures 30. La cathédrale est pleine; l'évêque, un petit monsieur tout souriant, n'en finit pas de serrer des mains; il jubile; (pense t-il au bon repas qui l'attend ? comme dans un certain conte d'Alphonse Daudet...); très vite l'ambiance nous déçoit; il fait froid, et les deux chanteuses sont très mauvaises; il n'y pas de chorale mais une horripilante batterie qui joue à contre-temps. Le sermon de l'évêque est consternant de niaiserie: les petits enfants par ci, les petits enfants par là... C'en devient suspect. "Les enfants aiment dessiner n'est-ce pas..." - "Non !" répond la petite qui se trouve près de moi. Sa maman a entendu et la gronde un peu. Cela me tire un sourire. Victorine, qui ne croit pas, essaie de me faire chanter un peu. Mais non, c'est trop mauvais, je n'y arrive pas. Et c'est absolument le genre d'ambiance qui peut vous détourner de la religion et même de la foi. Car la foi, je crois, a besoin de conditions pour germer et se développer; ne parle t-on pas des "moissons du Seigneur" ? Enfant de paysan je suis sensible à cette idée d'une religion "enracinée"; les racines du Ciel, évidemment ! Toujours est-il que nous sortons à la fois consternés et incrédules d'une telle messe de Noël !

A suivre...