Pour finir l'année (2)
Si j'en juge par la chronologie de ses ouvrages, André Maurois a été un écrivain prolifique; il commence à publier après la Grande Guerre, vers 33-35 ans; parallèlement il doit aussi s'occuper de l'industrie familiale; à cette époque, ni télé ni internet: on lit beaucoup plus qu'aujourd'hui. André Maurois connaît succès et notoriété dans les années 30 avec son roman Climats; mais il écrit surtout des biographies (de Lord Byron par exemple) et des livres de vulgarisation; c'est dans cette veine que s'inscrivent ses "histoires": de l'Angleterre, des Etats-Unis, de la France.
Je viens donc d'achever son Histoire de la France, publiée en 1947, récemment rééditée; évidemment, elle n'est pas à la pointe de la "recherche" historiographique, et ne s'embarrasse pas des concepts à la mode: histoire-monde, décentrement du regard, questionnements socio-culturels nouveaux... André Maurois a dû lire quelques bons manuels et quelques historiens "classiques", avec le souci de ne pas proposer une histoire de France trop partisane, soit de gauche soit de droite*; son idée principale est de montrer comment l'Etat a construit la Nation, comment les "institutions" et les choix politiques ont pesé sur la population et la société; il donne donc la priorité à l'étude ou disons à l'examen (parfois rapide) des régimes et des méthodes de gouvernement; et c'est souvent passionnant, car on a un peu oublié de nos jours cette façon d'envisager l'histoire; et de fait, les programmes et les professeurs "post-modernes" négligent allègrement le fonctionnement des institutions, le difficile équilibre des pouvoirs, le caractère aléatoire des "personnalités" placées au sommet de l'Etat; André Maurois, lui, n'oublie jamais de préciser le nombre des députés, comment ils sont élus, et le caractère fort peu démocratique des régimes contemporains; il ne s'en offusque pas, mais constate que ce sont les élites économiques et sociales qui organisent et administrent le pays. Cette idée d'une France étatique et centralisée (dès le XVIe siècle) n'est pas pour lui déplaire en vérité; à plusieurs reprises il souligne la qualité de travail et de réflexion des gouvernements, souvent placés dans des positions difficiles, entre les besoins de la base et les intérêts du sommet. Il voit surtout, à la manière de Tocqueville (un auteur qu'il cite souvent de façon élogieuse), que les différents régimes, monarchique absolutiste, parlementaire, impérial autoritaire, libéral, républicain jacobin, ou provincialiste modéré, sont tous confrontés à la grande difficulté de "fédérer" des Français toujours très prompts à la désunion et même à la guerre civile. Faute de place, faute de temps, André Maurois ne parle guère des "provinciaux", les plus nombreux des Français, et son Histoire très étatique et centralisée de la France se limite à des événements et à des personnages "parisiens".
*: On dira quand même qu'André Maurois est un républicain modéré, de centre-gauche, un peu plus sévère à l'égard des "ultras" royalistes qu'à l'égard des extrémistes de gauche.
Mais il explique aussi, et cette fois en suivant plutôt les idées de Jacques Bainville, que la position géographique de Paris oblige l'Etat à surveiller et protéger ses frontières du Nord et de l'Est, d'où peuvent surgir les armées étrangères, allemande notamment. La France, écrit Maurois, est une grande puissance qui suscite des convoitises; son peuple est travailleur, et souvent bien plus riche que ne le disent les chiffres officiels; mais ce peuple conservateur et traditionnel n'aime pas les aventures et les risques; il est souvent en décalage avec certaines élites qui rêvent de gloire et de valeurs universelles. A ce peuple il faut donc des dirigeants modérés, prudents, habiles, qui savent choisir leurs alliés, à l'intérieur et à l'extérieur; tâche difficile, et qui bien souvent ne dépend pas que de soi, mais surtout des autres. André Maurois, enfin, cite le sociologue et politologue André Siegfried, qui explique au début du XXe siècle le rôle du mot "petit" dans ce peuple français conservateur et prudent: petit-bourgeois, petites économies, petite maison, petit jardin, "Petit Parisien", "Petit Journal"... Mais cette "petitesse" fait grand cas des élévations de l'esprit: "lettrés et savants étaient en France plus honorés qu'en aucune autre nation." (p. 535) -
L'Histoire de Maurois s'achève avec la Seconde guerre: douloureuse épreuve qui montre la grandeur fragile de la France, car cette grandeur à la fois discrète et théorique, laborieuse et sentimentale, doit affronter des puissances économiques et militaires qui ne s'embarrassent pas de scrupules.
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