En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

L'Etat sanitaire (de la situation)

 

  Je crois que chaque lycée fait un peu ce qu'il veut dans ce pays; la communication de l'Etat s'oriente depuis plusieurs années vers le principe de l'autogestion; autrement dit, nos dirigeants ont des responsabilités et des préoccupations "mondiales" voire "universelles", qui les obligent à sous-traiter les problèmes nationaux et locaux; autrement dit encore, la "haute politique" n'a pas de temps à perdre avec les basses besognes administratives. Le principe de l'autogestion consiste à dire: voici un peu d'argent, et débrouillez-vous; en langage européiste, on parle du principe de subsidiarité: les dirigeants fixent les grandes actions à mener, la "feuille de route", et invitent, convoquent, obligent toutes sortes de petits et moyens "acteurs", élus, conseillers, responsables divers et variés, à réaliser "concrètement" et sur un territoire défini, métropole, inter-communes, département, région, ce qui correspond, d'après eux, aux objectifs et aux attentes de leurs donneurs d'ordres. On devine les difficultés et les embrouilles que soulève une pareille subsidiarité. Cela peut faire penser à un professeur (le donneur d'ordres) qui dirait à ses élèves: bon, voici le thème directeur du chapitre, et voilà quelques ressources pédagogiques pour vous guider, maintenant c'est à vous d'organiser le travail, de vous mettre en groupes, de définir et de délimiter l'intérêt de ce que vous souhaitez montrer et démontrer, et c'est à vous surtout de réaliser une production "concrète", dossier, photo-montage, séquence vidéo, qui réponde aux questions et objectifs que vous aurez préalablement exposés. La clé de la réussite, c'est la subsidiarité ou l'autogestion, c'est à dire votre capacité à vous débrouiller en un temps limité et en utilisant la meilleure échelle d'organisation qui soit (répartition du travail à plusieurs) en fonction des objectifs que vous vous serez fixés. Ce genre de pédagogie n'est évidemment pas à la portée de tous les élèves, et bien souvent donne lieu à une certaine confusion ou à une certaine inertie. Le terme d'autogestion évoque encore favorablement chez quelques enseignants relativement âgés l'idée d'une "autonomie" et d'une libération des employés ou des élèves, qui s'émancipent du "patron", du "prof". Mais pour les moins âgés, la notion de subsidiarité, plus ou moins bien comprise, renvoie inévitablement à l'union européenne, à sa technocratie nébuleuse qui imagine des horizons lumineux pour les peuples.

 

    Tout cela pour dire que l'Etat, malgré sa représentation (sa communication) et sa technocratie encore abondantes, voire écrasantes, se décharge de la plupart de ses missions depuis les années 1990: privatise, sous-traite, abandonne. On devine le malaise de la situation: un chef d'Etat qui donne l'impression (via les médias courtisans) de diriger, de décider, voire d'incarner le pays, mais qui en réalité ne fait qu'appliquer une politique définie par d'autres que lui: ses conseillers (le plus influent d'entre eux est un certain Alexis Kohler) et ses "parrains" (mécènes, stratèges et chefs de réseaux, de clubs, d'organisations géopolitiques plus ou moins connues du public...). Je l'ai déja signalé, la crise du coronavirus et du confinement va amplifier le malaise de la situation, "en même temps" que les médias internationaux (le New York Times par exemple) saluent la très bonne communication du président Macron; mais très bonne pour qui ? et pourquoi ? Les critères de la presse anglo-saxonne ne sont évidemment pas ceux de la majorité des Français. A cet égard nous vivons une époque médiatique assez extraordinaire, en ce sens où le décalage d'opinions et de perceptions relatives aux réalités sociales et culturelles n'a jamais été aussi profond et vaste entre cette majorité de Français et la petite minorité confortable et hypocrite des "journalistes" (j'y inclus les commentateurs  et les éditorialistes patentés et stipendiés). Le fossé devient même vertigineux, mais la politique ayant horreur du vide, nul doute que les "ingénieurs" de la communication et de la stratégie électorales sont déjà et depuis longtemps au travail. La crise du confinement a montré (ce qu'on savait un peu de toute façon) qu'il n'est finalement pas très compliqué de téléguider l'opinion publique, et l'empêcher "d'aller droit dans le mur" (expression passe-partout très utile pour les partis politiques). D'une certaine façon, le malaise social et culturel peut fort bien s'accompagner de "prescriptions" morales, idéologiques et politiques renforcées, dans le style suivant: vous pensez que la France est malade ? eh bien raison de plus pour qu'elle soit gouvernée et administrée de façon sanitaire et sanitairement correcte. Sous entendu: méfiez-vous des charlatans (candidats populistes). 

 

   Et j'en reviens à mon point de départ: le lycée. En dehors du port du masque obligatoire, c'est un peu l'improvisation; il faut suivre les flèches et respecter les sens de circulation, mais chaque enseignant se débrouille ensuite dans son coin avec ses quelques élèves. Personnellement, je ne suis pas toujours très strict avec les consignes sanitaires, le masque me tombe du nez sans arrêt, je le replace et je finis parfois par l'ôter quelques secondes; par ailleurs je franchis allègrement les portes battantes signalées interdites afin d'accéder à ma salle de cours habituelle et au cabinet de travail d'histoire-géo (si je devais respecter le sens de circulation il faudrait que je redescende les quatre étages du bâtiment et que je les remonte par l'accès autorisé) - Quand j'y pense je me lave les mains, mais je n'ai pas encore songé à désinfecter ma table de travail pour le collègue suivant; cette négligence sanitaire ou hygiénique peut s'expliquer par mon approche encore un peu rêveuse ou distraite de la situation; disons que je me laisse emporter par une attitude d'esprit potentiellement "romantique",  où le goût de l'énergie naturelle, vivante, le goût de la fraîcheur et de la sincérité l'emportent sur les "gestes barrières" et sur "la comédie des masques" (1). Evidemment, je ne me livre à aucune exubérance contestataire en compagnie (très limitée) de mes collègues. Côté élèves, là non plus, aucune extrapolation critique ou ironique; je m'en tiens au programme d'histoire, qu'il s'agit de terminer; donc, place aux Grecs, à Ulysse, à son chien Argos, à Thucydide, à Périclès et à Socrate. Malgré le masque des "modernes", j'essaie de parler clairement de l'art verbal des Anciens.  

 

(1): Titre du livre de l'historien Olivier Marchal consacré à Jean-Jacques Rousseau.        

         

 

                              

 



12/06/2020
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres