En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Sportif mais pas trop

 

    Depuis mon plus jeune âge, 7 ans, je suis très attentif aux actualités sportives; surtout le foot, le cyclisme, le rugby, et un peu le tennis. Cet intérêt  s'explique sans doute par la télévision et par le journal (Ouest-France), par les copains et par mes frangins; en revanche mon père et la plupart de mes professeurs désapprouvaient l'engouement collectif juvénile que les sports télévisés pouvaient susciter. Mais leurs arguments n'étaient pas les mêmes: ceux de mon père, disons de droite, accusaient le "divertissement" télé-sportif de détourner la jeunesse de ses devoirs, au sens général comme au sens concret du travail d'école à faire; chacune de mes baisses de notes, selon mon père, était due par conséquent à la télévision et au "jeu"; "il passe son temps à jouer". Les professeurs de gauche voyaient les choses autrement: les sports professionnels télévisés exaltaient de mauvaises valeurs, l'argent, la victoire, le dopage, le chauvinisme, qui allaient à l'encontre de celles de l'Ecole et de la République: fraternité, sobriété, sincérité. Le style journalistique sportif, par ailleurs, qui multipliait anglicismes et barbarismes, ou expressions triviales et loufoques, s'avérait contraire à la bonne prose contrôlée et mesurée que désiraient lire les correcteurs et les jurys. 

 

    Toute mon adolescence fut tiraillée entre mon intérêt constant pour les sports, télévisés, lus, pratiqués (foot, tennis), et la nécessité de découvrir et de cultiver d'autres "domaines", du corps et de l'esprit; la plupart des filles, dans les années 1980, ne s'intéressaient pas aux sports et n'en pratiquaient pas, en dehors des cours d'éducation physique du collège puis du lycée; la rencontre amoureuse (voire sexuelle) obligeait donc à savoir parler d'autre chose que de foot, de cyclisme ou de rugby; un copain m'avait un soir confié son déficit et son désarroi de conversation avec sa petite copine. Peu à peu je devenais l'intello de la bande, celui qui a des idées générales, mais peu de conseils précis à donner. De plus en plus de théorie, de moins en moins de pratique; il me fallut du reste abandonner celle du foot, inconciliable avec mon emploi du temps universitaire. J'ai souvenir d'avoir pourtant regardé avec assiduité la coupe du monde de foot de 1986, où l'équipe de France élimina celle du Brésil en quarts de finale, avant d'échouer ensuite face à la RFA. 

 

   Ma culture sportive déclina un peu dans les années suivantes; je rencontrai de jeunes intellos professeurs qui ne regardaient pas la télé et dédaignaient un peu ou totalement, soit le foot, soit le Tour de France, soit le rugby, et souvent les trois ensemble; le tennis gardait un peu de valeur à leurs yeux, sans doute parce que le philosophe Deleuze lui avait consacré quelques réflexions, ou parce qu'il y avait parfois des parties de tennis dans certains films de Woody Allen... Le foot et le cyclisme étaient en revanche dépourvus de "références" intellectuelles ou artistiques (à la rigueur quelques peintures de Nicolas de Staël); ils étaient vus alors comme des sports populo et prolo. La situation changea un peu en 1998 quand l'équipe de France remporta la coupe du monde de foot; l'événement et le phénomène socio-culturel furent salués et analysés par quelques intellos et romanciers parisiens, très bourgeois, je pense à Sollers dans son Journal L'année du tigre. Quant au Tour de France cycliste, il traversait alors une sombre période marquée par les affaires de dopage. Il m'arrivait pourtant de regarder encore les étapes de montagne et de considérer avec bienveillance et sympathie cette épreuve qui se déroulait pendant les vacances scolaires; j'avais l'esprit assez détendu pour admirer les corps haletants des coureurs cyclistes.

 

   Le métier de professeur n'était plus vraiment un travail intellectuel; j'avais renoncé à écrire et publier des choses compliquées; comme j'enseignais dans le "général" et que les élèves avaient besoin de généralités (un "socle" de culture commune !), comme la pédagogie moderne incitait par ailleurs les enseignants à se soucier davantage des goûts et des opinions de leur jeune public, je m'aperçus que mon intérêt pour les sports pouvait être utile, surtout devant des classes de garçons un peu turbulents, faiblement réceptifs aux théories du genre, mais tout disposés à écouter un professeur "qui s'y connait vachement en foot !" - Enfin, à l'approche de la quarantaine, et cherchant une activité de loisir, surtout estivale et susceptible d'assagir et de discipliner mon corps (la quarantaine marque le début de certains dysfonctionnements corporels et psychologiques), je redécouvrais peu à peu la pratique du vélo. 

 

    Voilà donc plus de dix ans que je pédale régulièrement; j'ai d'abord pédalé avec un VTC (Vélo Tout Chemin) très ordinaire, qui m'a permis de gagner du souffle et un peu de muscle; puis en 2013 j'ai acheté un vélo de course en carbone (marque Specialized), 2000 euros environ; ce bel objet m'a donné un goût supplémentaire pour la pratique cycliste; je crois qu'en l'achetant j'ai répondu à un certain besoin d'esthétique; disons le désir d'effectuer le bon geste, en essayant de combiner la sécurité et la vélocité, la puissance et l'élégance. Cela reste encore aujourd'hui de l'ordre du désir; mais j'essaie de progresser et de tendre vers lui. 

 

    J'en reparlerai, comme je parlerai aussi du rugby, puisque vient de commencer le tournoi des VI nations.                                                             

 



04/02/2019
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