En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Retour de la pluie

 

    La canicule est terminée, du moins pour la Normandie, région réputée pour la fraîcheur de ses températures et la fréquence de ses pluies. De gros orages ont d'abord causé des inondations la semaine dernière, par exemple le long de l'Orne et dans le centre-ville de Caen, qui se trouve dans une "cuvette". Ces "fortes précipitations" ont été suivies d'averses plus douces et régulières, qui ont bien trempé les sols asséchés de la région. Les pelouses "paillassons" ont reverdi; j'ai profité de la baisse des températures et de quelques heures d'éclaircie pour tailler la haie du jardin; il faut tailler soit en avril soit en août (les mois en A) m'a dit mon frangin; sinon ça repousse très vite. Je taille doucement avec la cisaille manuelle et je mène très méthodiquement mon travail sous le regard approbateur de quelques voisins. En général le résultat est satisfaisant. 

   La perspective de la rentrée scolaire me rebute totalement; je peine à consulter les nouveaux programmes, qui du reste ne sont pas si nouveaux que cela; ce sont toujours les mêmes "idées" et les mêmes techniques pédagogiques; je crois que je vais beaucoup improviser. Mais une improvisation mûrement réfléchie ! Pour l'instant, le lycée n'a rien communiqué des conditions de la rentrée; des masques pour tout le monde ? C'est plus que probable. Je n'imagine pas un seul instant que des collègues soient opposés à cette mesure. Devrait donc règner l'ambiance la plus étouffée qui soit, où seront malgré tout invoquées voire proclamées les grandes valeurs de notre travail, toujours plus difficile, mais toujours plus nécessaire. L'héroïsme n'est pas loin. 

    En attendant, je regarde les exploits sportifs diffusés par la chaîne L'Equipe; hier soir le club de Lyon a été surclassé par le club du Bayern de Münich en demi-finale de la Ligue des Champions de foot. 3-0. Un score sans appel, comme on dit. Et pourtant les journalistes, animateurs et consultants de la chaîne ont vanté la performance de Lyon, qui a bien résisté à "l'ogre bavarois", à la "machine" (de guerre ?) allemande, et autre "rouleau compresseur" germanique... Seul Bertrand Latour a osé défendre l'idée tout de même très raisonnable que Lyon n'a pas fait le poids, et que le Bayern n'a pas eu à forcer son talent. Il a été conspué et interrompu par les "chiens de garde" (par exemple David Appadoo, insupportablement agressif) du plateau de l'émission d'après-match. Aucun de ces journalistes soi disant spécialistes du foot n'a été capable en tout cas de fournir une analyse de la nette défaite lyonnaise: il suffisait pourtant de signaler la supériorité athlétique et technique du Bayern, la vitesse de son jeu, ses "automatismes", tandis que les joueurs de Lyon ont souvent perdu le ballon, raté les passes et les bons gestes offensifs (Karl Toko-Ekambi l'attaquant de pointe a raté trois occasions; à ce niveau-là ce n'est plus de la malchance, c'est un manque flagrant de talent).  Au lieu de quoi, les journalistes patentés de l'émission ont cherché à deviner les possibles faiblesses du Bayern qui va affronter le PSG dimanche en finale. Lassé d'une telle farce journalistique je suis donc allé me coucher. 

   La pluie est de nouveau tombée pendant la nuit; ce matin, des dizaines de petits oiseaux font leur toilette en secouant leurs ailes dans une flaque d'eau d'un demi centimètre; ils sont très agités, vont dans tous les sens, picorent les pousses d'herbe fraîche de la pelouse, et au moindre bruit se réfugient dans les arbres. Je ne sais ce que doivent penser toutes ces petites bêtes du monde dans lequel elles évoluent. Le philosophe italien Leopardi (1798-1837) imagine un dialogue entre un cheval et un boeuf; le cheval évoque la race des hommes qui a disparu de la terre. "Ils croyaient que le monde avait été créé pour eux." Le boeuf: "Comme s'il n'avait pas été fait pour les boeufs ?" Le cheval: "Tu plaisantes ? Tu ne sais donc pas qu'il a été créé pour les chevaux ? Je serais désespéré de n'être pas né cheval et je ne voudrais pas être un boeuf pour tout l'avoine du monde." Le boeuf: "Et moi pour toutes les feuilles, tous les arbres et tous les prés de la terre, je n'aurais voulu être un cheval. La bovinité est le don le plus précieux que l'on ait jamais fait à un animal; ceux qui ne sont pas des boeufs ne font pas fortune en ce monde (etc)." Les deux bêtes poursuivent leur dialogue en s'interrogeant sur la disparition de la race humaine. "Le récit de leurs péripéties, ils l'appelaient l'histoire du monde; quand je pense qu'ils n'étaient qu'une espèce animale parmi d'autres, qu'il y eut et qu'il y aura encore autant d'espèces que l'on comptait d'hommes jadis, et que ces mille races seront chacune infiniment plus nombreuse que la leur...." - Crois-tu, poursuit le cheval, qu'en se levant le matin de sa couche et en se préparant pour aller chasser, le lion songeait vraiment que le monde avait changé, qu'il savait ou qu'il lui importait de savoir que le vague chef d'une poignée d'hommes avait été tué dans un vague pays, que cette nouvelle faisait grand bruit parmi eux et que cela bouleversait leurs affaires ? Maintenant qu'ils ont disparu, le monde ne s'en aperçoit même pas et a oublié ces animaux dont il ne reste désormais que des ossements." (1)

 

(1): Giacomo Leopardi, Huit petites oeuvres morales inédites, Editions Allia, 2002, pp. 50-55.

    

    

                    

 



20/08/2020
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