Un peu de géographie: les métropoles
Les métropoles, à travers le monde et en France, sont au coeur de l'enseignement de la géographie depuis une trentaine d'années; il parait qu'on en parle même dès le cours primaire; dans le secondaire, on essaie d'expliquer ou d'exposer ce qu'est une métropole, et la définition la plus simple qu'on peut retenir est celle de "capitale économique" - Comme exemples, New York, Londres et Paris arrivent en tête dans les manuels, dans les revues, dans les reportages et dans les films; Tokyo, Shanghai et Singapour forment le trio suivant du phénomène métropolitain; en revanche, les immenses agglomérations de Mexico, Sao Paulo, Le Caire, Mumbai, Bangkok, Jakarta, etc. sont évoquées dans une autre catégorie, celle des "mégapoles" et de leurs problèmes de croissance, de bidonvilles, de pollution, de circulation.
Le phénomène de la grande ville "tentaculaire", dévorante, prédatrice, totalitaire (voir le film Metropolis de Fritz Lang) a longtemps dominé les esprits des géographes; je pense ici à un texte d'Elisée Reclus sur Londres en 1860 qui tente de montrer à travers la ville la domination impérialiste et capitaliste d'une "élite"; quant au Tableau de la France de Vidal de La Blache, au début du XXe, il fait l'éloge d'une organisation spatiale composée de "régions physiques", de bassins, de plateaux, de massifs, où les grandes villes sont totalement absentes ! Le phénomène de la "masse urbaine" est considéré comme inquiétant et menaçant par toute une tradition intellectuelle (qu'on peut sans doute qualifier d'aristocratique) qui préfère s'intéresser aux petites localités ou bien aux vastes espaces lointains; chez les écrivains français de la première moitié du XXe, je ne vois guère que Paul Morand s'emparer du phénomène urbain et même métropolitain à travers ses tableaux de Londres et de New York; il en souligne la "démesure", "l'hubris", l'extravagance, tandis que les petites villes françaises des années 1930 somnolent dans leur routine suspicieuse; la défaite de 40, selon l'historien Marc Bloch, c'est précisément celle de ces petites villes foudroyées par la vitesse mécanique de l'armée allemande.
Avec les Trente Glorieuses, changement de "paradigme": les géographes et les intellectuels français, voire les écrivains, se passionnent pour le phénomène urbain et métropolitain; l'Etat (jacobin) veut développer des métropoles dites d'équilibre qui formeront avec la capitale parisienne l'ossature économique du pays, voire, qui en seront les organes vitaux reliés et dynamisés par des flux (sanguins) de voitures, de camions, de trains, et d'avions ! On veut s'inspirer des Etats-Unis où les études de géographie économique urbaine sont déjà bien avancées et parfois dans un sens critique (post-marxisme écologiste) dont les universitaires français sont encore bien éloignés à la fin des années 60. Pour eux, chez eux, la métropole est alors synonyme ou promesse d'ordre, de pouvoir, d'organisation rationalisée de l'économie et de la société; à l'inverse des campagnes et des petites villes où règnent l'amateurisme technique et le bavardage, la métropole est un espace planifié, signalisé et professionnalisé, qui "ne parle pas pour ne rien dire". Dans le contexte d'un système capitaliste de plus en plus codifié, formalisé, puis informatisé, elle devient avant tout une capitale de l'information, où sont prises des décisions, publiés des journaux, des textes, inventés des slogans publicitaires... La métropole, diront les vilains esprits, c'est la capitale de la propagande !*
*: Paul Morand avait déjà vu cela à New York dans les années 1920
Entre la fin des Trente Glorieuses et la fin de la guerre froide (1975-1990), la question métropolitaine est un peu mise de côté; on préfère parler des villes nouvelles, des extensions discontinues de la péri-urbanisation, voire du "retour à la campagne"; dans la série télé Dallas, gros succès des années 80, on ne voit quasiment jamais la ville, et toute l'action ou presque se déroule dans le ranch en pleine campagne de la famille Ewing; les petites métropoles françaises, quant à elles, rêvent de grandeur et d'émancipation avec les lois de décentralisation qui leur donnent un rôle de capitales régionales; c'est le cas de Montpellier avec son maire socialiste un peu mégalo Georges Frèche, dont je brosse un portrait ironique dans ma copie d'agrégation de géo**.
**: Qui me valut une très bonne note à ma grande surprise; mais pas assez pour compenser les mauvaises d'histoire et décrocher l'agrégation.
Après 1990 et depuis que j'enseigne, la question des métropoles est devenue centrale et pleine de sérieux; les regards critiques voire "mal pensants" sur leur développement, leurs projets, leur "marketing", leurs gaspillages d'argent public, leurs magouilles immobilières, leurs échecs sociaux, scolaires, leur insécurité grandissante masquée par des statistiques bidouillées, etc. sont rarement signalés, tandis que sont gonflées leurs soi-disant réussites ou "initiatives" en faveur du développement durable, du "vivre-ensemble", de la recherche universitaire et technologique. Est surtout mise en avant l'idée de leur "rayonnement" et de leur influence, régionale, nationale voire européenne et mondiale; un géographe vient de proposer la notion de "métapole" pour désigner les espaces ou territoires qui se trouvent sous l'influence d'une métropole; cette conception ou conceptualisation tend à exagérer le phénomène urbain, selon le géographe Gérard-François Dumont, qui estime au contraire qu'un nombre encore important de Français (environ 30 %) ne sont pas des urbains, encore moins des métropolitains, et se félicitent de ne pas l'être. Dans un autre registre, les livres à succès de Christophe Guiluy sur la fracture sociale et culturelle entre les métropoles et les "périphéries" (pavillonnaires et rurales) ont donné et redonné du mordant aux contempteurs de la "grande ville" bourgeoise, mondialisée, multi-culturelle, inégalitaire et ploutocratique.
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