En attendant le Déluge

    Revenons à des considérations plus françaises et retournons dans le passé. J'ai laissé mes élèves de Seconde sur Henri IV et Louis XIII ; on a comparé ensemble deux portraits de ces deux rois ; ils ont jugé Henri IV plus « sympa », avec quelque chose de malicieux au coin de l'oeil ; Louis XIII leur a semblé bien pâle.

    Je leur ai expliqué l'expression « Vert galant » : « homme redoutable pour la vertu des femmes » ; longtemps Henri IV crut que son sexe était un os ! On connaît davantage son cheval blanc, qui en vérité était gris. Je leur dis pour résumer que le « bon roi Henri » a su se rendre populaire parce que la population était lasse en beaucoup d'endroits de ces guerres de religion auxquelles il mit un terme par l'Edit de Nantes de 1598. Il y mit un terme comme de Gaulle avec la guerre d'Algérie, afin de pouvoir passer à autre chose. Sous son règne la ville de Caen renforce et agrandit ses fortifications. Passant par Vitré le bon roi Henri, frappé par l'opulence des bourgeois de la petite ville (protestante), se serait exclamé : « Ventre saint Gris ! Si je n'étais roy de France, je voudrais être bourgeois de Vitré ! » -

    Louis XIII a moins bonne mine ; il meurt à 41 ans ; mais son règne fut plus guerrier encore que celui de son père : il s'agit de « pacifier » un royaume qui reste turbulent malgré l'Edit de Nantes (malgré ou à cause de lui!) - Certaines villes voient leurs fortifications renforcées quand d'autres les voient disparaître : avec Richelieu se développe la politique du « pré carré », que poursuivra Louis XIV avec Vauban : fortifier les frontières et les côtes mais abattre les murailles des villes de l'intérieur.

    « La vue et la présence du Roi renversent les remparts, ruinent les bastions et les portes des villes, l'Ange de Dieu marche devant lui, qui lui ouvre les passages. Ce que soixante ans de rébellion avaient soustrait à l'obéissance de nos Rois, il y entre en un instant, les Villes par centaines se mettent à ses pieds ; et qui plus est, il regagne les cœurs... » - Ainsi s'exprime l'assemblée des notables de Paris tenue en 1626 sous le règne de Louis XIII.¹  

    Il faudra de longues années toutefois pour abattre les murailles, et les opposants sont nombreux ; ainsi le père jésuite Urbain Grandier de Loudun contre lequel un procès en sorcellerie sera instruit ; il est accusé d'avoir ensorcelé les Ursulines du couvent de la ville. Grandier est bel homme, jeune, brillant, séduisant, et ne cache pas son goût des femmes. L'affaire prend des proportions extraordinaires : Richelieu et le roi s'y intéressent de très près. Des médecins, des exorcistes, des casuistes, des juges et des curieux accourent à Loudun. Nous sommes en 1632 ; Descartes écrit son Discours de la Méthode. Comment distinguer le réel de l'irréel ? Que peut la Raison ? La croyance en Dieu est-elle rationnelle ? Et L'Esprit Saint dans tout cela ? Et les Voies du Seigneur ? Impénétrables ? Toutes questions qui assaillent aussi Urbain Grandier, dont la « mâle assurance » est peu à peu ébranlée par les confessions et les aveux recueillis auprès des nonnes. L'Eglise n'a pas renoncé au thème du Démon et de la Possession. Ce jeune père jésuite n'est-il pas un peu trop « libre » ? Assurément. Richelieu impose la Raison d'Etat plus forte que la raison individuelle d'un brillant esprit. Urbain Grandier est brûlé sur le bûcher le 18 août 1634².