En attendant le Déluge

En attendant le Déluge

Voilà, le Tour est fini

 

 

    Quel bilan tirer de ce Tour 2021 ? D'abord prudence: le vainqueur sera peut-être déclassé dans quelques années; et le palmarès du Tour sera donc de nouveau modifié; il n'est pas facile d'y voir clair d'ailleurs entre les vainqueurs déchus, exclus voire bannis (Armstrong), les vainqueurs déclassés (Contador) et les vainqueurs condamnés mais plus ou moins pardonnés (Riis). On peut comprendre les sarcasmes de certains nostalgiques. Le dernier vrai et beau vainqueur c'est Lemond en 1986, a écrit un internaute, après c'est du grand n'importe quoi. Roche en 87, pourtant, auquel j'ai consacré une chronique, c'était encore du solide ! Et puis il y a 89 et la terrible défaite de Fignon lors de la dernière étape: ce fut quand même l'un des plus grands moments de l'histoire du Tour. Je pense d'ailleurs que l'organisation devrait revenir à cette très bonne idée d'un contre-la-montre en guise de dernière étape, plutôt que de nous infliger ce défilé du peloton sur les Champs-Elysées, qui est une véritable purge sportivo-médiatique; du reste je n'ai pas regardé, je suis allé faire du vélo à travers la campagne normande sous le ciel bleu où j'ai croisé quelques tracteurs et remorques remplies de blé. 

 

    A propos de blé, le vainqueur du Tour empoche 500 000 euros, qu'il répartit, je suppose, au sein de son équipe; le deuxième 200 000 et le 3e 100 000, et ainsi de suite. Pour en savoir plus je donne un lien en bas de l'article. Ce sont de belles sommes mais très inférieures à celles du foot, du rugby et d'autres sports. On peut s'étonner, enfin moi je m'en étonne, du prix élevé de la combativité décerné chaque jour et de celui de la super-combativité offert en fin de Tour, sachant que c'est un jury (de quelques personnes dont le commentateur Laurent Jalabert) qui décide en fin d'étape du coureur "le plus combatif du jour"; les critères n'en sont toujours bien clairs; en principe ce prix récompense celui qui s'échappe en début ou en milieu d'étape, mais il y a toujours plusieurs échappés par jour; alors comment choisir ? On a un peu l'impression tout de même que c'est souvent un coureur français qui l'emporte... C'est par exemple Franck Bonnamour qui a empoché le prix de la super-combativité (20 000 euros !) censé récompenser le coureur le plus combatif du Tour. Moi je l'aurais donné à Wout van Aert ou à Matej Mohoric... Mais celui-ci est Slovène, alors... (voir chronique précédente). Quant à van Aert, il s'est échappé lors de la très difficile étape du Ventoux et il a réussi à l'emporter; puis il a gagné les deux dernières étapes de ce Tour, d'abord le contre-la-montre de Saint-Emilion (il a parcouru les 30 km à plus de 50 de moyenne !) puis le sprint final sur les Champs-Elysées le lendemain. Personne, là, ne s'est interrogé sur cette "extraordinaire" performance; d'habitude, Jalabert nous explique qu'un coureur qui a fourni un gros effort un jour doit récupérer le lendemain. Mais pas pour Van Aert qui est doté de qualités exceptionnelles; et les journalistes de nous dire que c'est le coureur le plus doué et le plus complet de sa génération, car il sait tout faire, il peut gagner presque partout, il a été deux fois champion du monde de cyclo-cross. Et puis Van Aert n'est pas Slovène... 

 

     Les coureurs français eux sont beaucoup plus modestes, et très sympathiques aux yeux du public... français. Mais pour qui voit les choses avec distance et objectivité internationale (comme moi !) cette sympathie est un peu surestimée voire "gonflante", notamment quand il s'agit d'Alaphilippe, qui fut de très loin le coureur le plus souvent interrogé par France TV. Cela peut s'expliquer par sa femme, Marion Rousse, qui d'habitude commente le Tour sur la chaîne publique mais ne l'a pas fait cette année parce qu'elle vient d'accoucher d'un petit garçon dont toute la France connait le prénom, Nino ! Le précédent compagnon de Marion Rousse, le coureur Tony Gallopin, a en revanche totalement disparu du paysage médiatique et il ne disputait même pas le Tour. Mais n'attribuons pas trop d'importance à la jeune femme. Alaphilippe est un champion par lui-même, il a déjà remporté de grandes courses et il est le porteur du maillot arc-en-ciel. Cela dit il termine 30e du Tour à 1h 43 de Pogacar.  Le meilleur français de ce Tour est Guillaume Martin, lui aussi très souvent interrogé, plutôt par la presse écrite que par la presse TV; il termine 8e à 15 minutes du vainqueur. On l'a dit, c'est un coureur raisonnable, rationnel et philosophe; ses classements sont un modèle de progrès réguliers: 23e lors de son premier Tour en 2017, puis 21e en 2018, 12e en 2019, 11e en 2020. Il s'avoue donc satisfait de cette progression et il pense pouvoir encore faire mieux, mais cela ne dépend pas que de lui, bien sûr; " je suis un coureur régulier" reconnait-il (comment faut-il entendre "régulier" ?) et il ajoute: "je ne sais pas comment les coureurs font pour se transcender le bon jour" (1). Guillaume Martin est en effet un coureur sans "punch", sans "coup d'éclat", qui semble toujours courir au même rythme; c'est un homme "linéaire", très organisé, très posé, très pondéré, pas très "bim-bam-boum". A vrai dire, je me sens des affinités de caractère avec lui. Il paraît qu'il est très abordable et qu'il ne vit pas très loin d'ici. Mais, qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ? L'inviter au lycée pour parler aux élèves ? Cette idée me fait un peu soupirer, en plein mois de juillet ne parlons pas encore de boulot ! 

 

(1): Ouest-France, 19 juillet

 

    Enfin, disons un petit mot de Chris Froome, quadruple vainqueur du Tour (2013, 2015, 2016, 2017) et qui termine cette année 133e à 4h12 de Pogacar ! Tout le monde ou presque a salué cette leçon de dévouement et d'humilité; il aurait pu abandonner dix fois, mais il s'est accroché, très loin, très très loin de son meilleur niveau. Quelques personnes (dont un lecteur qui a écrit à Ouest-France à ce sujet) n'ont pas apprécié que le Tour permette à un Froome sportivement hors-sujet, et à son équipe, Israël-start-up-nation, de bénéficier d'une exposition médiatique indécente... Et cela pose en effet la question du nombre des équipes engagées et des critères de sélection: les organisateurs du Tour sont obligés d'inviter les équipes de première catégorie du classement de l'UCI (Union Cycliste Internationale), et peuvent ensuite offrir des invitations à des équipes de seconde catégorie, notamment françaises. Depuis une vingtaine d'années le peloton du Tour évolue entre 180 et 198 coureurs; on a connu un peloton à 210 en 1986; et moins de 150 dans les décennies précédentes. Pour les statistiques je donne en bas de l'article le site qu'il faut consulter. On peut s'amuser également sur ce site à comparer les écarts entre les premiers et les derniers. Depuis une vingtaine d'années ils évoluent entre 3h et 6h; ce sont de très gros écarts, bien sûr, mais qui peuvent s'expliquer aisément: les délais pour ne pas être disqualifiés sont très larges, beaucoup de coureurs font un travail d'équipiers et se relèvent dès qu'ils ont "fait le job", les meilleurs enfin sont capables de rouler à des moyennes très élevées tous les jours et les défaillances sont de plus en plus rares. Enfin il y a les chutes, dont nous avons déjà parlé, qui peuvent expliquer les très gros retards de certains coureurs présentés cependant comme favoris au début du Tour: Geraint Thomas, Richie Porte, et sans oublier l'abandon de Roglic. 

 

    Concluons: ce ne fut pas un Tour passionnant car sans Roglic, son principal adversaire, Pogacar a très vite tué le suspense. Les stratégies d'équipes ont comme d'habitude "contrôlé" les échappées; et les équipes en question sont de plus en plus fortes; "ce fut le Tour le plus difficile et le plus exigeant de tous ceux que j'ai faits" a résumé le coureur français Pierre Rolland, qui en a couru 12 depuis 2009. Certaines étapes, notamment celle entre Vierzon et Le Creusot, ont été "dingues"; puis le mauvais temps dans les Alpes a accentué la difficulté de la course. Ce ne fut donc pas un Tour monotone ou morose; le retour du public en chair et en os sur le bord de la route a permis de renouer avec l'ambiance traditionnelle et historique. Les commentaires "patrimoine" de la télé (assurés par Franck Ferrand) ont été ultra-classiques, voire académiques, mais les images ont souvent été splendides. Et par les temps qui courent le "beau" paisible est fort appréciable. Bien sûr, il faudrait pouvoir en dire plus, mais ça suffit pour le Tour de cette année. D'autres chroniques prendront le relais de mes conceptions esthétiques...      

 

              

 

Ce que gagnent les coureurs du Tour

Statistiques sur le Tour



19/07/2021
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